Ceci est la partie 2 d’un Série en 7 events
Vers 1h30 le 24 juin 2016, Karim Wade a savouré ses premiers instants de liberté après 38 mois passés à la jail de Rebeuss à Dakar. L’attendait sur le tarmac de l’aéroport worldwide Léopold-Sédar-Senghor un jet privé, affrété par l’émir du Qatar.
Avant de partir en exil à Doha, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade – “ministre du ciel et de la terre” entre 2009 et 2012 – fait un seul arrêt entre la jail et l’aéroportdans le quartier aisé des Almadies, chez Madické Niang.
Plusieurs fois ministre (notamment de la justice et des affaires étrangères), membre influent du Parti démocratique sénégalais (PDS) et assured d’Abdoulaye Wade, cet avocat secret, bien connecté à Touba, était – à l’époque – l’un des les principaux intermédiaires entre le PDS et le général Khalifa des Mourides, Serigne Sidy Mokhtar Mbacké.
C’est chez ce dernier que Karim Wade a reçu discrètement la bénédiction de l’autorité religieuse la plus influente du pays, through le fils du Khalifa, Serigne Moustapha Mbacké, venu de Touba. Durant son incarcération, Karim Wade a également bénéficié du information spirituel de la confrérie mouride : des offrandes de nourriture pour améliorer son quotidien en jail.
Régulateur politique
« L’affect de la confrérie a évolué au fil du temps », explique Ousseynou Nar Guèye, fondateur et rédacteur en chef de Senttract.sn ainsi qu’un Mouride talibés (‘disciple’). Aujourd’hui, le Khalifa Common est un acteur vital du jeu politique, voire un arbitre, plus encore que le président de la République, considéré comme un acteur partisan. « Le passage par Touba est incontournable pour tout candidat à la présidentielle, qu’il soit mouride ou non, qu’il soit musulman ou non », précise le journaliste.
Le mouvement mouride s’est imposé dans l’imaginaire public comme une construction éloignée du pouvoir, tout en développant des leviers d’affect dans la sphère politique
Pour Bakary Sambe, enseignant-chercheur au Centre d’études religieuses de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, directeur régional du think-tank Timbuktu Institute et auteur du livre Le Sénégal entre diplomatie d’affect et islam politique (éditions Afrikana), « le mouvement mouride s’est imposé dans l’imaginaire public comme une construction éloignée du pouvoir, tout en développant des leviers d’affect dans la sphère politique ».
Le Khalifa général est aussi un régulateur en matière de police des rues, comme ce fut le cas en mars 2021 lorsque des émeutes éclatèrent à Dakar et dans plusieurs grandes villes du pays après accusations portées par la justice contre Ousmane Sonko, un rival du président. Bien que d’autres autorités religieuses se soient exprimées à l’époque, la voix du chef spirituel de Touba était prépondérante.
Directions de vote
« Dans ses mémoires, Abdou Diouf raconte que lorsqu’il l’a désigné comme son successeur, Senghor lui a recommandé de rendre visite au Khalifa général des Mourides tous les trois mois, ce qu’il a fait », raconte Ousseynou Nar Guèye.
En période pré-électorale, il est difficile de trouver un candidat qui s’abstienne de se rendre à Touba pour rendre hommage au Khalifa afin de recevoir sa bénédiction. Le temps où Serigne Abdoul Ahad Mbacké appelait ouvertement à voter pour Abdou Diouf et le Parti socialiste (PS) lors des élections présidentielles et législatives de 1983 et 1988 est révolu.
Cet explicite ndigël (« instruction ») a alors « marqué les esprits », raconte le chercheur Xavier Audrain, dans un article de Politique Africaine consacrée à « l’évolution des rapports entre faith et politique à travers la vie de Cheikh Modou Kara ». “Ces appels, considérés comme décisifs dans les victoires électorales du successeur de Senghor, ont perpétué la relation historique entre l’État et la ‘capitale’ des Mourides, faisant du ‘clergé’ de Touba des ‘faiseurs de rois'”, dit-il. Cependant, depuis l’accession de Serigne Saliou au Khalifa général de la Muridiyya en 1990, et son choix de ne pas intervenir dans les affaires du mondela donne a changé.
Ndigël ou non, l’affect du clergé mouride reste prépondérante au carrefour du religieux, du politique et du social. Lors du Grand Magal de Touba, le pèlerinage annuel qui célèbre la date – dans le calendrier musulman – où Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké (surnommé Serigne Touba), le fondateur de la confrérie, fut exilé au Gabon par l’administration coloniale française, quelque 4 hundreds of thousands les fidèles prosperous vers la ville sainte, devenue au fil des ans la deuxième ville la plus peuplée du pays après la capitale, avec 1,5 million d’habitants recensés en 2018.
La capitale provisoire
Pendant le pèlerinage, Dakar se transforme pendant quelques jours en ville fantôme. Presque dépeuplées, les rues habituellement encombrées ressemblent soudain à des routes de campagne. Il faut dire qu’une grande partie des véhicules de transport en commun (bus, Ndiaga Ndiaye et taxis) dans la capitale sont opérés par Mouride talibés.
Touba devient alors la capitale provisoire du pays. Après être passé sous l’arche qui marque l’entrée de la ville, les fidèles prosperous vers la grande mosquée, construite en 1923, et vers le mausolée où est enterré le fondateur de la confrérie. A Touba, la cigarette et l’alcool sont strictement interdits et les femmes ne portent pas de pantalon.
Au Sénégal, il est unattainable d’accéder sereinement au pouvoir sans le soutien de la confrérie.
En septembre 2021, le porte-parole du Khalifa général – Serigne Bassirou Mbacké Abdou Khadre, alias « Serigne Bass » – nous a reçus dans la résidence privée du Khalifa général, une imposante bâtisse où un entourage grouillant s’affairait autour du chef spirituel, un talibés tenant sa bouteille d’eau, l’autre ses pantoufles.
Malgré la pandémie de Covid-19 et la troisième imprecise alarmante apparue ces derniers mois en raison de nouvelles variantes, le Magal de Touba n’a pas été annulé par les autorités sénégalaises ou par le Khalifa Common en 2020 ou 2021. « Les Mourides croient bien sûr à la réalité de cette pandémie, mais, en même temps, ils sentent que leur foi ne leur permet pas de rester sourds à l’appel de Touba, et ils préfèrent mourir que vivre sans obéir à cet appel », nous dit Serigne Bass.
Rumeurs lancinantes
Entre les deux excursions de l’élection présidentielle de 2012, le futur président Macky Sall a expérimenté – à ses dépens – combien la prudence et la discrétion sont nécessaires lorsqu’il est query de mouridisme. Pendant des années, une rumeur persistante l’a suivi, affirmant que son commentaire lors d’une conférence de presse, que « les marabouts sont des citoyens ordinaires », était sacrilège automotive il pouvait être interprété comme une critique de Touba.
En 2018, à l’event d’une visite présidentielle à Touba, l’un de ses proches conseillers – El Hadj Hamidou Kassé – a tenté de corriger ce malentendu sur les réseaux sociaux en expliquant que dans l’entre-deux excursions, Sall avait en effet déclaré que « les marabouts sont avant tout des citoyens », une expression qui aurait été déformée par un journal en « citoyens ordinaires ».
Au-delà de cette retranscription au hasard, Sambe évoque un autre épisode qui a mis Sall sur la sellette au lendemain de son accession au pouvoir. Il raconte : “Par souci de ‘bonne gouvernance’, il a confisqué les voitures attribuées par Abdoulaye Wade à certains marabouts et dignitaires mourides et les passeports diplomatiques généreusement accordés par l’ancien régime ont été retirés”.
Cela explique pourquoi le président sortant, bien que réélu au premier tour en 2019, a été devancé en pays mouride (les départements de Bambey, Diourbel et Mbacké) par son challenger, Idrissa Seck, « le candidat talibé ». Ce dernier avait en effet recueilli 48,49% des suffrages, contre 40,21% pour Sall.
Au Sénégal, il est unattainable d’accéder sereinement au pouvoir sans le soutien de la confrérie. « Senghor a très vite compris l’significance du soutien du Mouridisme et de la Tijaniyya [the other major brotherhood in Senegal] pour un président catholique dans un pays majoritairement musulman », déclare Sambe. « Son exploit est d’avoir réussi à obtenir le soutien de ces confréries musulmanes contre des candidats qui étaient […] Musulman.” Après le retrait de Senghor, Abdou Diouf a suivi ses traces. Cependant, en 1988, une déclaration explicite ndigël du Khalifa Common à voter pour le successeur socialiste a marqué un tournant dans cette relation. Cela ne se reproduirait plus.
Abdoulaye Wade a fait de la confrérie un outil d’ascension politique pour les cadres qui l’entouraient…
Quant à Abdoulaye Wade, il n’a pas hésité à jouer sur son appartenance à la confrérie pour placer le mouridisme au cœur de la République. « Nous avons alors assisté à une forme de mouridisation à la fois de l’administration et de la classe politique », explique Sambe. “Abdoulaye Wade a fait de la confrérie un outil d’ascension politique pour les cadres qui l’entourent, et malgré la polémique autour de sa déclaration sur les marabouts, je pense que Macky Sall swimsuit le même chemin.”
Une République à genoux
“Les politiciens sénégalais se tournent vers la sphère religieuse pour la légitimité qui leur manque parfois dans la sphère politique”, explique Sambe.
«Lorsque le pape Jean-Paul II a été reçu au Sénégal par Abdou Diouf en 1992, le calife général Abdoul Ahad Mbacké a déclaré au président qu’il considérait cette visite d’un mauvais œil. Abdou Diouf a répondu qu’il était le président des musulmans ainsi que des catholiques. Dès lors, leur relation [somewhat] détérioré […]», explique Ousseynou Nar Guèye.
Après sa première élection en 2000, Abdoulaye Wade se rend à Touba et s’agenouille devant le général Khalifa. La scène a été immortalisée par les médias et le geste a suscité de vives critiques. « On parlait alors d’une République agenouillée devant Touba, raconte l’éditeur.
12 ans plus tard, lorsque le président vieillissant brigue un troisième mandat disputé, il reçoit néanmoins le soutien de deux dignitaires issus de branches parallèles de la confrérie mouride : les marabouts Cheikh Bethio Thioune et Serigne Modou Kara Mbacké. Pour les politiques sénégalais, tous les chemins mènent à Touba – même si cela signifie prendre la mauvaise route.
Le 27 septembre 2019, des dizaines de milliers de Sénégalais ont afflué au cœur de la capitale pour assister à l’inauguration de la monumentale mosquée Massalikoul Djinane de 10 000 mètres carrés : un chef-d’œuvre construit par la confrérie mouride en hommage à son fondateur.
Réconciliation
La cérémonie a donné lieu à une rencontre que personne n’avait imaginée. Côte à côte, l’ancien président Abdoulaye Wade et son ancien premier ministre, Macky Sall, qui lui a succédé, ont enterré la hache de guerre malgré leurs querelles et désaccords successifs sur l’affaire Karim Wade.
« Évidemment, il y a eu des différends, mais tout cela doit être surmonté. C’est pourquoi je lance un appel solennel au président Abdoulaye Wade pour qu’il parle du pays avec moi », a déclaré Macky Sall devant les caméras. Pour sceller cette apparente réconciliation, le clergé mouride joua à nouveau le premier rôle.